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Argh, mon mec est écolo
Mode de vie. La galère d’être en ménage avec un vert.
Chloé Andries
Profitons du énième salon écolo, le bien nommé Vivez nature (1),
pour lancer enfin un débat crucial et ô combien sous-estimé par les
fous de verdure : l’amour peut-il survivre à l’écologie ? Parce que
c’est bien beau tout ce tintouin sur les vertus des toilettes sèches,
le miracle des couches lavables, la joie du compost au fond du jardin,
mais se les farcir sept jours sur sept, tout ça parce qu’on est dingue
d’un écolo convaincu, ça friserait pas le tue-l’amour parfois ?
«Bêcher». Sophie, 30 ans, vit depuis cinq ans avec un vert pur et
dur. Le genre à vouloir retaper sa baraque lui-même avec des produits
tellement naturels qu’il te faut environ trois ans pour faire
ressembler la maison à quelque chose. Et si Sophie épouse la cause de
son homme, elle avoue que le fait d’emménager dans une nouvelle maison
avec jardin lui a causé quelques soucis. «Quand j’étais enceinte, on
devait faire des travaux et refaire les chambres. Mais lui n’arrêtait
pas de planter, de bêcher dans le jardin, sans vraiment se soucier du
reste. Il regardait dehors, paniqué à l’idée de ne pas pouvoir planter
ses arbres alors que le mois de plantation approchait. Moi, je lui
répondais qu’il y avait le bébé qui arrivait aussi, et que j’aimerais
bien pouvoir dormir ailleurs que sur un matelas, par terre au milieu
des cartons à un mois de mon accouchement…»
Les soucis de travaux sont réglés, mais les détails du quotidien lui
mènent parfois la vie dure. Sophie se pose donc régulièrement des
questions aussi existentielles que «comment laver le four encrassé
quand ton mec râle si tu utilises du Décapfour ?» ou «comment lui faire
prendre conscience que tu aimerais bien garder des toilettes normales
quand lui ne jure que par les toilettes sèches ?» Plus embêtant encore,
son mari ne veut pas que la mère de ses enfants s’encrasse le corps
avec des saloperies aussi délicieuses que les Big Mac ou les
frites-fricandelle. Résultat, «quand j’étais enceinte, j’en étais
réduite à me faire des Quick en cachette», explique la trentenaire.
«Ambiance». Heureusement, la jeune maman reste admirative des idéaux
de son jules, et surtout, elle a une confidente, Cécile, qui a de la
bouteille en la matière. Après vingt ans de vie commune avec un écolo
pur jus, Cécile a des anecdotes à revendre qu’elle classe par thèmes
écologiques. En tête de ses ennemis, la couche d’ozone, qui l’a presque
forcée à dire adieu à l’idée de se faire des parties bronzette à la
plage en amoureux. «Etienne ne supporte pas de s’exposer en plein midi,
parce que c’est à ce moment que la couche d’ozone est la moins présente
et qu’on se prend tous les radicaux libres. Alors faire la crêpe, j’ai
presque oublié ce que c’était. A la limite, si je le tanne, il vient,
mais je me retrouve à côté d’un homme enrubanné dans des serviettes,
des moufles et caché derrière son chapeau. Ça casse l’ambiance.» Autre
ennemi majeur de Cécile : l’empreinte écologique. Pour les nuls du
rayon bio, on rappelle de quoi il s’agit. Grosso modo, dans toutes nos
activités quotidiennes, nous polluons. Plus tu pollues, plus ton
empreinte écologique est grande. Parce qu’elle correspond à la surface
de terre et d’écosystème qu’il faudrait pour produire et assimiler tout
ce qu’on pollue. Depuis qu’ils calculent la leur, Cécile et Etienne ne
partent plus en vacances loin de chez eux. Vu que la voiture, ça pollue
et l’avion, on en parle pas. Conclusion, ça fait des années que Cécile
rêve d’un voyage en Italie, mais qu’elle n’en a jamais vu le bout de la
botte, à cause de cette foutue empreinte. «Je suis complètement
d’accord sur le principe, mais une fois de temps en temps, on pourrait
quand même se faire un petit plaisir.» Les vacances semblent être la
bête noire du couple écolo.
François, 30 ans, s’est carrément fait traîner par sa copine, pour
une semaine à vélo avec un groupe de babs ultrabio. «J’avoue que
c’était sympa, sauf que si eux sont habitués à manger plein de verdure,
moi mon corps n’était pas vraiment rodé. Résultat tous les jours, à la
fin de la journée, je piquais un sprint à vélo pour être le premier au
gîte et pouvoir foncer aux toilettes… régler mes petits désordres
intestinaux.» Qu’on se rassure, aucun de ces couples n’a encore été
sacrifié sur l’autel de l’écologie. Parce que, tous le répètent en
chœur, pour vivre avec un écolo, il faut soi-même adhérer un minimum à
la cause.
«Dentifrice bio». Amélie, 29 ans, a donc lâché l’affaire, son degré
d’investissement n’ayant jamais dépassé le stade du tri sélectif. Il y
a deux mois, elle a rencontré Paul. «Il me plaisait bien. Mais la
première soirée passée chez lui fut un désastre. D’abord il m’a cuisiné
un croque-monsieur bio infâme, puis m’a fait les gros yeux parce que je
fumais. Je ne parle même pas du réveil, à 6 heures du mat, à cause de
ses rideaux tellement bio que toute la lumière passait à travers. Je
lui ai fait la réflexion, en blaguant, et ça ne l’a même pas fait
rire.» Le lendemain, Amélie a donc pris ses cliques et ses claques.
Sans même passer par la case salle de bains. «Il m’a suffi de jeter un
œil sur sa pâte de dentifrice bio, pour me dire que vraiment, ça
n’allait pas le faire.»
(1) Jusqu’à lundi à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris.